Le rôle des pratiques agricoles sur la fourniture en services écosystémiques sur les fronts pionniers amazoniens

Solen Le Clec’h*. L’intensité de la dégradation dans les forêts tropicales dépend davantage de phénomènes globaux: Un élément de discussion dans les négociation d’accords de libre-échange Suisse- Mercosur?

Dans les forêts tropicales, la déforestation est provoquée par l’exploitation de bois et la colonisation à des fins agricoles, faisant des agriculteurs et des éleveurs un des agents les plus importants de la déforestation. Les activités agricoles provoquent une modification plus ou moins forte du milieu naturel, notamment de sa biodiversité et des services écosystémiques (SE). En Amazonie brésilienne, la problématique de l’impact des agriculteurs familiaux sur leur milieu est alors essentielle. En effet, ces derniers occupent un territoire dont ils doivent préserver le milieu naturel pour pouvoir poursuivre leurs activités. Cela nécessite l’invention de formes de gouvernance et d’action assurant la fourniture en SE. Paradoxalement, ils doivent simultanément exploiter ce même territoire pour que celui-ci remplisse un certain nombre de fonctions sociales et économiques: les accueillir comme lieu de vie et lieu de travail et fournir un maximum de bénéfices. Or, pour mettre en valeur et utiliser ce territoire, les producteurs familiaux participent activement au déboisement qui leur permet de posséder une terre où vivre et travailler, provoquant ainsi sa dégradation. Sur les fronts pionniers amazoniens, des études ont montré par exemple le rôle des caractéristiques des exploitations et des exploitants agricoles dans le processus et l’intensité de la déforestation. Par exemple, la taille des parcelles est corrélée négativement avec l’intensité de la déforestation en Amazonie brésilienne, du fait du manque de capital permettant l’utilisation d’implants. La question se pose alors de savoir si le lien direct entre les pratiques des populations et l’impact sur le milieu est significativement important face à d’autres facteurs plus globaux tels que le contexte politique ou l’historicité de la colonisation. Si tel est le cas, comment l’identifier?

À l’interface entre les sociétés et le milieu que celles-ci se sont appropriées, les SE apparaissent comme une grille de lecture assez complète et intégrée permettant de prendre en compte à la fois les dimensions naturelle et anthropique. Nous avons ici** appliqué cette notion de SE dans l’objectif d’identifier le lien entre l’état du milieu naturel et la mise en valeur du territoire par les sociétés: comment les différents modes de pratiques agricoles et profils sociographiques influencent la fourniture de SE?

Nous avons basé notre cas d’étude sur 100 fermes réparties dans trois localités de la forêt amazonienne brésilienne (Etat du Pará). Des données socio-économiques et relatives aux SE ont été récoltées lors de campagnes terrain (programme de recherche AMAZ – coord. P. Lavelle) puis ont été mises en relation par des analyses statistiques. Les données socio-économiques caractérisent la production agricole, les caractéristiques sociologiques comme le nombre de migration ou le niveau d’éducation atteint) et les conditions de vie des agriculteurs. Six SE ont été étudiés, liés aux processus biophysiques des sols, à la biodiversité ou à la structure de la végétation.

Nos résultats ont abouti à quatre conclusions principales. (1) Il existe des relations entre les caractéristiques socio-économiques des exploitants et la fourniture en SE ainsi qu’avec les interrelations entre ces services. (2) La fourniture en SE est davantage influencée par les caractéristiques de production agricole que par les caractéristiques sociologiques ou de qualité de vie. (3) L’impact de la production agricole sur la fourniture en SE dépend du niveau des revenus totaux. Une augmentation dans les revenus provoque une diminution de la couverture forestière qui fournit de nombreux SE et une augmentation dans d’autres zones qui fournissent moins de SE. (4) Ces relations restent peu marquées et nos analyses montrent un très fort effet de site. Celui-ci traduit probablement l’hétérogénéité des contextes biophysiques, mais aussi l’importance du rôle de la temporalité de la déforestation sur la fourniture de SE et / ou le rôle des politiques publiques spécifiques. De fait, trouver des moyens de produire un impact alternatif sur la fourniture en SE dépend davantage des changements dans le contexte politique mondial que dans les pratiques individuelles. Ainsi, notre étude pourrait mettre d’alimenter le débat actuel sur la mise en place d’un accord de libre-échange entre la Suisse et le Mercosur, dont une implication serait l’augmentation de la demande mondiale en produits agricoles provenant de cette région du monde.

En résumé :

  • Nous avons voulu mettre en évidence les facteurs de contrôle anthropiques des associations de services écosystémiques,
  • Les caractéristiques anthropiques impactent peu la fourniture de services écosystémiques en contexte de déforestation.
  • L’impact sur le milieu est lié au fait même de déboiser et les caractéristiques de vie des exploitants ainsi que la manière dont ils vivent ou exploitent leur terre ne sont que peu influençant.
  • L’intensité de la dégradation dépend davantage de phénomènes globaux.

 

*Solen Le Clec’h est post-doc dans le groupe AECP.

**Le Clec’h et al., 2018. Impacts of Agricultural Practices and Individual Life Characteristics on Ecosystem Services: A Case Study on Family Farmers in the Context of an Amazonian Pioneer Front. Environmental Management. https://link.springer.com/article/10.1007/s00267-018-1004-y

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